A - Chapitre 10

Publié le par Gabrielle

A - Chapitre 10

Chapitre 10 : Plus terrifiant, tu meurs…


L’Oubli, cette douce lâcheté de l’esprit. Facilité qui parfois se révèle trop amère. Comme un échappatoire à la réalité. Parfois l’esprit choisit d’oublier, parce que cela peut blesser de se souvenir. Parce qu’on préfère ne plus savoir. Parce que certaines choses sont trop dures à assumer, on préfère les ignorer. L’oubli est une clef de geôle illusoire. Car après tout, les souvenirs finissent souvent par vous rattraper, et l’oubli n’est plus. Il est comme un outil pour se sauver de situations qu’on ne comprend pas, ou qu’on ne veut pas comprendre. L’oubli est synonyme de peur ou d’abandon. Il fige dans la glace des choses que l’on voudrait effacer de notre esprit. Mais parfois, un soleil appelé mémoire fait fondre cette glace d’ignorance. Et alors, chaque goutte d’eau qui coule nous rappelle des moments passés. Difficiles, heureux, tristes, parfois même trop heureux. Et alors, au fur et à mesure que le froid s’en va, la réalité vous rattrape dans sa douce chaleur parfois dure à supporter. Et cette chaleur semblait rattraper doucement chacun des adolescents. Après tout, tous avaient des choses à cacher, des choses improbables, insoupçonnables et très bien dissimulées dans un recoin sombre de leur vie. Mais lorsque le soleil éclairerait une nouvelle fois ces choses qu’ils croyaient tous avoir enterré depuis des années déjà, qui sait ce qui pourrait se passer ?
Le premier sur la liste du cruel destin qui les attendait tous les quatre se trouvait être Jacob.

***


Jacob rêvait. Il rêvait encore et toujours. Mais cette fois pas de fille étrange aux cheveux magnifiques, pas de blanc, mais des larmes. Oui, beaucoup de larmes, et du sang aussi. Bien trop de sang à son goût. Il marchait sur des chemins formés par des sortes de bulles d’eau transparentes et fragiles. Il se sentait lourd et un étrange poids lui pesait sur le cœur. Comme si quelque chose dans l’atmosphère qui régnait dans son songe l’empêchait de se sentir, sans qu’il ne sache vraiment quoi.
Au bout d’un certain temps – une éternité lui sembla-t-il – Jacob arriva à une sorte de croisement. Les bulles se divisaient en deux chemins distincts, et parfaitement semblables. Mais au bout de l’un deux brillait une étrange lueur rouge. Intrigué, le jeune homme laissa ses pieds le porter vers cette lueur sans qu’il en ait vraiment conscience. Comme s’il était attiré par une gravité mystérieuse vers cette étrange couleur. Et à mesure qu’il s’en rapprochait, la peur s’immisçait en lui comme un poison lent, silencieux, sournois et mortel. Lorsqu’il arriva enfin à destination, la vision qui s’offrit à lui glaça le sang. La jeune fille était là, devant lui, mais ses yeux semblaient vides. Les flammes qui y brulaient auparavant avaient disparu pour laisser place à une couleur floue et indéfinissable. Ses cheveux vermeil étaient souillés d’un rouge écarlate. Et elle était maigre à en faire peur. Mais tout cela n’était rien comparé à ce qu’elle était en train de faire : ses doigts, maculés d’un rouge sombre, écrivaient sur un mur de briques noires qui lui faisaient face. À la manière d’un robot, elle bougeait lentement et sèchement chacune de ses phalanges pour former un mot, puis une phrase : « Elle sera ton pire cauchemar, et tu ne pourras pas l’enfermer dans la glace à tout jamais, la vérité refait toujours surface ». Horrifié, Jacob eut à peine le temps de déchiffrer le message délivré par le liquide vital de la jeune fille que celle-ci tourna les yeux vers lui. Il fut comme paralysé à la seconde où ses yeux rencontrèrent les siens. Un sourire mauvais et cruel étira lentement les fines lèvres de l’inconnue. Elle fit un pas vers lui, puis un second, puis un troisième, et lorsqu’elle fut assez près du garçon, elle lécha avec délice ses doigts. Sa langue rose et râpeuse semblait se délecter de ce nectar écarlate et âcre. Jacob semblait parfaitement impuissant face à cette créature qu’était devenue la jeune fille si douce qu’il avait jusque là connu dans ses songes immaculés et magnifiquement purs. Tout ce sang lui soulevait le cœur, mais il ne parvenait pas à bouger. Il aurait voulu partir, s’enfuir le plus loin possible de cette illusion, mais ses membres ne lui obéissaient plus, comme figés par une force invisible. La jeune fille se rapprocha encore un peu plus de lui, jusqu’à lui effleurer la joue du bout de ses doigts souillés. L’odeur métallique du sang lui chatouilla les narines. Aussi, quand la main de la femme se saisit fermement de son coup, il voulut hurler, mais là encore, il ne put pas. La mystérieuse fille colla sa joue contre la sienne et lui murmura à l’oreille :
_ Dors tant que tu le peux encore… Un jour, je t’obsèderai tellement que tu ne pourras plus fermer les yeux un seule seconde sans craindre que je vienne te supprimer dans ton sommeil. Après tout, je serai toujours en toi. Tu pourras toujours essayer de m’oublier, je serai toujours quelque part cachée en toi, dans tes souvenirs les plus beaux, mais aussi les plus douloureux. Je suis tes joies et tes tristesses, dépêche toi de réaliser ceci. Je suis la lumière et l’ombre de ton cœur, tantôt blanche tantôt noire, tantôt faible et fragile, tantôt plus forte que tout ce que tu ne pourras jamais être. Je suis ma thèse et mon antithèse à la fois. Allez, fais un effort, souviens-toi d’Elle, Martin…
Sa voix n’était pas la même que la dernière fois qu’il l’avait entendue. Elle était rauque et empreinte d’une haine irascible. Elle semblait le détester et l’aimer plus que tout à la fois. Cette voix lui était en fait familière, mais il ne se souvenait plus où il avait bien pu l’entendre. Elle était âpre et rude comme un matin d’hiver, dure comme du granit. Quelque part, il savait que cette voix avait raison malgré toute la terreur qu’elle lui inspirait…
Jacob frissonna lorsque la main se retira de sa nuque. Il put voir la femme déposer un peu de sang sur sa joue, avant de disparaître comme un nuage léger et éphémère. Ne restèrent alors plus que Jacob, et ce mur couvert de sang. Du sang. Trop de sang. Beaucoup trop de sang.

****


Lorsque Jacob ouvrit les yeux, il sentit comme une étrange odeur flotter dans sa chambre d’hôpital. Pas l’odeur habituelle de désinfectant et de propre, pas cette odeur fade, mais une fragrance bien plus marquée. Au bout d’à peine quelques secondes, elle disparut pour laisser place au parfum de lessive et de médicaments qu’il connaissait si bien. Margaux se tenait dans un coin de la pièce, les yeux rivés sur le dehors. Elle semblait contempler les gouttes de pluie qui glissaient doucement sur les carreaux transparents et glacés de la fenêtre. Sans tourner la tête, elle dit :
_ Salut Jacob, ça va ?
Ce dernier, qui pensait que la jeune fille n’avait pas vu qu’il s’était réveillé, sursauta, puis répondit au bout de quelques secondes :
_ Oui, je… je crois. Alors ça y est, tu as le droit de sortir de ta chambre ?
_ Oui, mais pas de l’hôpital malheureusement. L’air de dehors me manque. J’ai l’impression de me dessécher à force de rester cloitrée à l’intérieur. Au fait, l’inspecteur est passé il y a une demie heure, mais comme tu dormais, il n’a pas voulu te réveiller et à dit qu’il repasserait après être parti se chercher un café.
_ Oh… et il t’as dit ce qu’il voulait ? demanda Jacob l’air un peu mal réveillé.
_ Non, répondit Margaux, blasée, mais il devrait repasser dans deux ou trois minutes à mon avis.
À peine eut-elle prononcé ces mots que trois petits coups se forent entendre à la porte.
_ Oui ? dit le jeune homme.
La porte s’ouvrit sur l’inspecteur, un gobelet de café à la main. Il fit un petit sourire à Jacob, puis lui dit :
_ Alors, bien dormi ?
_ Oui, je vous remercie. Alors, pourquoi êtes-vous là ?
_ En fait, nous souhaiterions passer à l’étape suivant de l’enquête, et pour cela, il faudrait que vous veniez avec moi visiter un endroit un peu particulier…
Jacob leva un sourcil interrogateur vers M. Durant qui déclara enfin :
_ Votre ancienne demeure, c’est-à-dire le lieu du meurtre.
_ Ok… alors là, plus terrifiant, tu meurs… lâcha Margaux.

Publié dans Amnesie

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