A - Chapitre 7

Publié le par Gabrielle

A - Chapitre 7

Chapitre 7 : Plus dégoûtant, tu meurs...


Si il y avait bien une chose que Margaux détestait, en dehors des filles stupides, des garçons crâneurs, des shorts, des trucs moulants, de l'alcool, des enfants, des vieux, des noms de fleurs, des poupées barbie, du rose, du maquillage, des courgettes, de la craie et des tatouages, c'était les questions indiscrètes. Or, là, son père venait de lui en poser une, et pas des moindres. De plus, elle concernait Paul. Ce qui était très certainement LA chose que Margaux haïssait le plus au monde. La situation était donc encore pire. Et puis, c'était vrai ça, qui était Paul pour elle au juste ? Un camarade ? Oui, mais pas exactement. Un ami ? Certainement pas ! Un ennemi ? Non plus. Un garçon ? Oui. Paul était juste un garçon. La jeune fille s'apprêtait à donner cette réponse à son cher père, mais fut, à son grand bonheur, interrompue. En effet, une infirmière entra dans la pièce. Pendant un instant, le jeune fille la vit comme un ange habillé de blanc, tant cette jeune femme l'avait sauvée d'une situation désespérée. Mais cela ne dura, hélas, qu'une demie-minute. Dès qu'un mot eu le malheur de franchir les lèvres pleines de gloss de l'infirmière, Margaux eut une furieuse envie de lui mettre un claque. Une bonne grosse claque même.
_ Bonjour mademoiselle, comment vous sentez-vous ? dit-elle d'une voix mielleuse et insupportablement aigüe.
'Je viens de tomber dans les pommes et je ne sais même pas pourquoi, j'ai été sauvée par un garçon détestable qui me donne des noms de fleurs et mon frère m'a fait un câlin. Comment je pourrais aller bien ?!' pensa très fort Margaux en fusillant la cruche qui lui servait de personnel médical de son regard gelé.
_ Mieux, je vous remercie, se contenta-t-elle en revanche de dire, politesse oblige.
_ Bien, vous m'en voyez ravie, rétorqua la femme toujours sur le même ton détestable. Bon, je pense qu'il est temps de vous expliquer ce qu'il s'est passé mademoiselle.
Margaux déglutit difficilement, mais soutint le regard brun de la femme médecin. Elle avait envie de savoir bien sûr, mais cela lui faisait peur. Avait-elle une maladie grave ? Un cancer par exemple ? Ou même une maladie extrêmement rare indétectable et incurable ? La jeune fille n'en avait aucune idée. Tout ce qu'elle pouvait faire pour le moment, c'était rester suspendue aux lèvres brillantes de son interlocutrice. Et attendre.
_ Vous avez fait une grave crise de panique, lâcha le médecin d'une voix neutre. Suivi d'un court arrêt cardiaque. Normalement, vous ne garderez que très peu de séquelles, mais il vous faut être suivie par un psychologue régulièrement, prendre des calmants et rester en observation une semaine minimum à l'hôpital. Autre chose aussi, en tombant, vous vous êtes ouvert le crâne sur quelques centimètres et avez donc dû être recousue. Il se peut que par moment vous ayez une légère douleur passagère à la tête.
Elle avait dit ça d'une voix très calme, comme si elle lisait sa liste de course à voix haute. Pourtant, dans le coeur de Margaux, cela eut l'effet d'une bombe. Son coeur s'était arrêté ? Elle avait fait une crise de panique ? Tout cela paraissait tellement absurde lorsqu'on savait qu'il y a à peine deux mois, son plus gros soucis était de savoir comment partir d'une fête débile sans attirer l'attention sur elle... Pourtant tout avait changé. La cause de sa crise de panique ne lui était évidemment pas inconnue. C'était Jacob et tout ce qui l'entourait. Toutes ces histoires de meurtres, de souvenirs oubliés et de mystères l'empêchaient de dormir la nuit, même si elle ne voulait pas l'admettre. En réalité, la jeune fille savait bien qu'elle était d'une nature plutôt sensible, mais elle avait enterré tout ceci au fond d'elle il y avait déjà des années. Parce que c'était bien plus facile d'être rebelle et de dire des choses horribles aux gens plutôt que d'être aimable avec eux et de se faire tirer dans le dos. Tuer ou être tuée, c'était ainsi qu'elle voyait le monde. Et c'était bien plus simple à tous points de vue. Aimer l'avait déjà fait beaucoup trop souffrir, alors elle se séparait du monde à l'aide d'une carapace dont elle ne sortait jamais. Même Jess avait beaucoup de mal à la percer. Son frère et son père n'essayaient même plus. Ils avaient compris que quelque chose avait changé en Margaux et n'essayaient pas de savoir quoi, de peur que tout cela soit trop dur à entendre et à comprendre. Sa mère, elle, voyageait sans arrêt pour le travail, et ne voyait que très rarement ses enfants. Elle avait besoin d'indépendance et de liberté, et tout ce qui pouvait la maintenir à un endroit, elle s'en débarrassait. Même lorsqu'il s'agissait de ses enfants ou de son couple. C'était d'ailleurs pour ça que les parents de Margaux avaient divorcé, il y a déjà 10 ans de cela. Sa mère était comme de la fumée. Il est impossible de la garder près de soi. Elle disparait dès qu'un peu de fraîcheur arrive. Donc autant dire que l'état psychologique de sa fille restait le cadet de ses soucis. Pour résumer, personne ne la comprenait, alors elle ne disait rien, et n'essayait même plus de se faire comprendre. La rancoeur était son seul moyen de défense, alors elle en usait et en abusait, quitte à blesser ses proches. Tant que ce n'était pas elle qui était blessée, tout allait bien. Mais là, sa carapace avait explosé d'un seul coup face à la réalité si cruelle de la vie. La mort, l'abandon, et la solitude. Toutes ces choses la rendaient vulnérable. C'était pour cela qu'elle avait fait cette crise. Et elle en avait pleinement conscience.
_ Je vois, murmura-t-elle. Et est-ce que je risque de refaire des crises comme celles-ci ?
_ Aucun risque ne doit être écarté mademoiselle, lui répondit l'infirmière. Mais si vous êtes régulièrement suivie par un psychologue, cela ne devrait pas recommencer.
_ Bien, je vous remercie.
La femme sortit de la pièce, laissant Margaux, son père, son frère et Jess seuls. Aucun des proches de la jeune fille n'osait prononcer un seul mot. Un silence pesant régnait dans la pièce immaculée. Ce fut finalement Jess qui déclara :
_ Bon, je pense que tout le monde a besoin de repos. Je vais donc te laisser Margaux, mais je repasserai ce soir.
_ Je pense que je vais faire la même chose, bredouilla son père
_ Et bien si tout le monde s'en va ... renchérit Jonas.
Et en l'espace de quelques secondes, la blessée fut seule. Et le pire dans tout cela, c'est qu'elle préférait nettement être seule.
_ Je dois vraiment avoir un truc qui tourne pas rond dans ma tête ... dit-elle pour elle-même.
Très vite, la fatigue la gagna, et elle laissa le sommeil l'emporter dans son doux royaume.

***

Lorsque Margaux reprit conscience, une odeur affreuse lui chatouilla les narines. Elle n'avait pas le courage d'ouvrir les yeux. Tous ses membres étaient terriblement engourdis et elle se sentait lourde ... comme si elle avait un poids sur le corps. Elle attendit donc quelques minutes, histoire de retrouver un peu de légèreté, mais elle constata avec horreur que rien ne se passait. Prise de panique, la jeune fille ouvrit brusquement les yeux et se releva d'un seul coup. Et là, elle put enfin respirer convenablement. Devant elle trônait un plateau repas en plastique - blanc évidemment - garni d'un morceau de viande qui ressemblait étrangement à du carton, de pommes de terre qui avaient l'air de vieilles personnes toutes ridées et d'une compote avec un couleur pour le moins étrange. Très appétissant tout ça.
Lentement, l'adolescente se redressa un peu plus, s'adossa à son oreiller, et entreprit de goûter une bouchée de pommes de terre. Mais lorsque celle-ci fut arrivée à environ deux centimètres de sa bouche, elle comprit tout de suite d'où venait l'odeur nauséabonde qu'elle avait sentie à son réveil. Alors la jeune fille essaya la viande, sans plus de succès. Il ne restait plus que la compote, sinon, elle ferait régime.
La malade plongea sa cuillère dans le pot de compote et l'approcha lentement d'elle, comme si elle craignait que la nourriture ne contienne de la mort aux rats ( ce qui était peut-être le cas d'ailleurs, vu l'aspect de la nourriture en question ... ). Avec un effort surhumain, elle mit la masse visqueuse dans sa bouche, puis l'avala. Le verdict fut sans appel :
_ Plus dégoûtant, tu meurs ...

Publié dans Amnesie

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